Il semblerait difficile pour l’homme de plonger dans un ennui sans issue quelconque deux heures durant. Ça l’est.
De nos jours, bien plus qu’auparavant, nous nous divertissons par tous les moyens : si l’homme a un stylo, l’homme écrira, si l’homme a une voix, l’homme chantera, si l’homme a un papier, il en fera des avions, des cocottes, des bateaux, des cygnes et tant que l’homme possède, il ne peut s’ennuyer. Le défi pascalien requiert alors le confinement dans une solitude absolue : aucun divertissement, rien à se mettre sous la main, sous la dent ou sous les yeux.
En ces moments là, une seule stimulation est possible : la stimulation cérébrale. Lorsqu’on ne peut rien faire, il nous est tout de même permis de penser. Notre réflexion suit un chemin atypique, propre à chacun, et à la suite de ces explications, je vous fait part du mien. Mes pensées virent le jour autour de ceux que j’aime : grosse erreur. Elles escaladaient les portraits, contournèrent leur visage, imitèrent la tonalité des mots qu’ils eûrent auparavant employés. Puis, comme si tout cela n’était que mirage, mes pensées sublimèrent les personnes que j’aime. Étrangement, et bien que je ne fus consentante, je ne pouvais plus songer à ces derniers; comme s’ils n’existaient plus, comme si j’avais épuisé l’espace disponible de mon imagination. Bienheureusement, je n’étais pas à court d’idées. Je réfléchis alors sur ce à quoi je pouvais réfléchir. Ainsi les mots me paraissaient improbables, faux, dénués de sens. Peut-être lors d’une demi-douzaine de minutes, je fus hypnotisée par des prononciations alternatives et aléatoires. Le mot “cadenas” me consterna. En quoi est-ce qu’un cadenas est correctement illustré par son appellation ? Plus je prononçais ces trois syllabes, moins j’y croyais. Le mot en question me semblait s’éloigner, s’il n’était pas lointain déjà. Alors je réfléchis encore et encore, tournant en rond en moi, faisant des vas-et-vients, faisant les quatre-cent pas. Que vais-je manger ce soir ? Et demain ? Et dans un an ? Quelle heure est-il à New York ? Et à Oslo ? Et dans un mois, quel temps fera-t-il ? Avant-hier, quel temps était-il et quelle heure faisait-il? J’avais faim, j’avais soif. Je m’efforçais : il ne fallait pas lire, il ne fallait pas se divertir; il fallait penser. Au creux de ma tête résonnaient des mensonges, et la moitié s’était écoulée toute seule. Mes yeux se fermaient de leur propre chef, et je faisais tout mon possible pour rester éveillée. “Plus qu’une heure”, me répétais-je pendant une dizaine de minutes, “Plus que cinquante minutes”, disais-je pendant cinq autres; et j’avais arrêter de penser. Ce n’était pas juste à mes yeux. Il me fallait penser. Mon esprit avait alors fait un bond en arrière pour tergiverser sur le premier sujet qui m’avait intéressé : ceux que je soupçonne aimer. Je n’y pensais plus, à eux. Je doutais à présent. Sont-ils réellement ceux que j’aime ?
Pour les aimer, que faut-il penser? Que faut-il faire ? Faut-il réellement prouver son amour? Et s’ils ne sont ceux que j'aime? Et si je ne les aime pas? Peut-être n'existent-ils pas? Comment puis- être certaine de leur réalité si la subjectivité de mon opinion prôné sur la vérité elle-même? Il y a une vérité par homme, et tant de vérités qu’il y a d’hommes. Peut-être que leur véracité n’est pas, et qu’à travers mon regard seulement je les fais vrais. Alors je pensai aux mots, à nouveau.
Je pensai au cadenas et au vélo, au crayon et à la bouteille, à tous ces mots vides de sens tant que je ne leur en donne pas; à tous ces mots vides de sons si je ne leur en donne pas. Un cadenas n’est plus un cadenas si je décide que c’est un arbre. Alors je pensai aux mots, à nouveau. Je pensai à leur sens plus esthétique que pratique. Je pensai que le soleil perdrait tout son charme si je ne l'appelais plus que “la chose brillante qui se lève au matin”. Je pensai que le monde ne faisait pas sa révolution autour de moi, mais que je lui avais attribué un nom, à son mouvement. En réalité, durant tout ce temps, je ne doutais que de la réalité des autres, leur octroyant leur liberté d’existence, et je me sentis égoïste. Pour être franche, il ne me fallut que très peu de temps avant de me rendre compte que cette vérité était la mienne, et que si je l’appliquais à tous, j’étais moi aussi, une création humaine. Si je réponds à mon nom, c’est parce que l’on m’appelle. Et j’ai alors compris qu’un homme vaut un homme. Perdre un homme, c’est perdre un homme. Un homme vaut un homme, pas plus qu’un autre. Si je perds un homme, cela laisse de la place pour un autre homme. Du moment que je ne me perds pas moi même, rien n’est perdu. Alors je pensai à nouveau, me disant ainsi que peut-être m’étais-je déjà perdue. J’avais peur. Mes murs me regardaient, mes meubles m’écoutaient, mes livres se lisaient, le temps était écouté.
Au terme de ces deux heures, je me suis détestée. Avant cette expérience, j’appréhendai mes pensées, croyant qu’elles aboutiraient à la mort, à la fin de mon corps, et mon âme. Non. La seule chose qui put me préoccuper fut mon pouvoir sur les autres, ce que je leur infligeais.
Peut-être est-il que je me sais suffisamment mortelle pour en prendre conscience à nouveau?
Peut-être est-il que je ne me sais pas assez vivante, et crois la mort n’être qu’un fléau.
-Iza Marina
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